Alphonse Dupront |

Comptes-rendus de séminaires

Enseignement 1964-1965,

Annuaire de l’EPHE, VIe section, 1965-1966, pp. 240-243

Psychologie collective et histoire de la civilisation européenne

Directeur d’études : M. A. Dupront

     Les travaux de la direction d’études durant l’année scolaire 1964-1965 se sont volontairement centrés sur trois aspects de la recherche :

   

a) La recherche collective ;

b) La recherche personnelle des participants au Séminaire,

c) Les réflexions méthodologiques du directeur d’études.

   

Le présent compte rendu essaiera de dégager les résultats essentiels de ces différents aspects du travail.

   

A. Au titre de la recherche collective, s’est développée, prenant à la fois plus d’ampleur et de profondeur, l’enquête psychosociologique sur les pèlerinages actuellement vivants en France.
  
Premier résultat du travail : la constitution d’une équipe et dans le séminaire et avec quelques vacataires, et, ce qui est plus important encore, avec un réseau de correspondants qui peut permettre pour tout développement ultérieur de recherches de Sociologie du Sacré un recours direct et quasi immédiat à des informations diligentes autant que sûres.
  
Les résultats scientifiques de l’enquête obtenus au cours de l’année considérée peuvent être dénombrés de la façon suivante :

   

     1) Du point de vue quantitatif, environ un tiers des diocèses de France méthodiquement inventoriés, avec la constitution d’un double matériau documentaire :

- Un fichier où chaque pèlerinage est décrit quant à ses caractéristiques essentielles d’implantation, de correspondances cosmiques, de sacralités, de fréquentation, de périodicité, d’origines sociologiques, de liturgies ou de pratiques particulières ;
  
- L’établissement d’une carte par diocèse faisant ressortir sur fonds oro-hydrographique les valeurs essentielles de chaque pèlerinage.
  
Tant l’établissement d’une fiche type que la fixation des signes pour la carte ont demandé une série d’élaborations afin d’arriver à constituer dans cette matière neuve une documentation aussi concentrée et aussi lisible que possible.

   

     2) Du point de vue psycho-sociologique, quant à l’inventaire des sacralités contemporaines, nos recherches font apparaître de plus en plus : au plan le plus extérieur d’une part, la prédominance des cultes mariaux sur les cultes de saints ; d’autre part, en profondeur, dès que la recherche se précise au-delà des données les plus immédiates et des documents fournis par les autorités ecclésiastiques, les cultes de saints apparaissent encore tenaces, quelques-uns d’une grande antiquité.
  
Cette évidence que seule une recherche serrée, éclairée quelques fois par l’enquête directe, pouvait mettre en lumière, se lie à l’important problème du pèlerinage thérapique. Avec les pèlerinages aux saints, la thérapie, thérapie de portée locale ou régionale, triomphait ; des transferts s’opèrent avec les pèlerinages mariaux, mais transferts incomplets. D’où la très grande portée quant à une analyse des forces, formes et moyens d’une thérapie collective, et la nécessité de serrer la question de plus près dans une prochaine étape de recherches consacrée justement aux saints thérapeutes. Nous sommes là en présence d’un moyen de santé collective, ou d’une forme de recherche collective de la santé infiniment plus vivante que l’on ne pense et qu’il y aurait lieu d’explorer quant à une psychologie collective des profondeurs dans une enquête à prévoir largement inter-disciplines.
  
Autre donnée de l’enquête du point de vue psycho-sociologique : en dépit d’apparences d’uniformisation dans la société contemporaine, très grande diversité régionale de la vie, des survies, des pratiques et de l’histoire des pèlerinages. Il y a donc par le pèlerinage une voie pour saisir, par ensemble régional, une spychologie profonde de groupes massifs quant à la recherche panique religieuse et à la vie élémentaire des sacralités. Très caractéristique en ce sens dans les régions de l’Est par exemple, l’assiette du pèlerinage au partir des grandes abbayes disparues ou bien par le développement d’un érémitisme souvent pratiqué presque jusqu’à nos jours.

   

     3) Cette analyse en profondeur débouchant toujours sur de nouvelles recherches, dans le développement de notre enquête concernant la France, deux nécessités de recherches ultérieures se profilent déjà :
 

_l’une est celle qui vient d’être indiquée concernant les saints thérapeutes ;

   
_l’autre conduit à dépasser largement le critère sociologique que nous nous étions par sagesse imposé pour le dénombrement des pèlerinages, à savoir la reconnaissance ou du moins la connaissance par l’autorité ecclésiastique. En fait notre dénombrement conduit jusqu’aux pèlerinages sinon clandestins, du moins anarchiques, d’un folklore toujours puissant et grave, même si élémentaire. Pareils pèlerinages aux confins d’une mentalité si l’on veut « pré-logique » ne peuvent évidemment être saisis par nos méthodes d’enquête. Il importerait de définir avec les ethnographes une exploration appropriée pour aboutir à dresser parallèlement à l’inventaire du pèlerinage officiel celui du pèlerinage obscur, voire cryptique.

   
Un exposé d’une richesse remarquable a été fait par Mlle Bouteiller, dans une double perspective : nous apporter le point de ses recherches quant aux formes diverses de thérapie collective, et d’autre part établir un inventaire des fonds du Musée des Arts et Traditions Populaires qui pourrait fournir documents et matériaux pour les progrès de l’enquête sur les pèlerinages.

   
Aux fins de préparer des recherches ultérieures, il a paru indispensable de provoquer des échanges de vues avec un certain nombre de personnalités directement intéressées à l’exploration de ces problèmes complexes. Ainsi ont bien voulu répondre à l’invitation du directeur d’études :

Le R.P. Ramond, directeur de « Sanctuaires et Pèlerinages » ;

Mlle Bouteiller, maître de recherche au c.n.r.s. ;

M. Lecotté, président de la Fédération folklorique d’Ile-de-France ;

M. Meslin, maître-assistant à la Sorbonne.

   

B. Au titre des travaux personnels des participants du séminaire :
  
M.G. Froidevaux a exposé le progrès de son enquête orientée quant à une analyse de psychologie collective sur le problème du recyclage dans un certain nombre d’expériences de la vie industrielle contemporaine.
  
M.B. Vogler, professeur au lycée Kléber de Strasbourg, a dressé l’inventaire du matériau disponible dans les grands dépôts d’archives allemands pour une étude de la vie religieuse en Palatinat dans la deuxième moitié du xvie siècle, inventaire qui lui avait été demandé par le directeur d’études afin d’orienter solidement son travail ultérieur.
  
M. Marc Venard, assistant en Sorbonne, a présenté le résultat de ses recherches dans les papiers Farnèse à Parme, pour le développement de son étude sur la vie religieuse dans le Comtat Venaissin durant la seconde moitié du xvie siècle.
  
M. Jean-Claude Picard a exposé les résultats de son étude sur les pèlerinages en Gâtinais au début du xviie siècle d’après l’Histoire du Gâtinais de Dom Morin, grand prieur de Ferrière.
  
Tous travaux ressortissant à des titres divers des secteurs de recherches regroupés par la direction d’études.
  

C. Le directeur d’études pour sa part est intervenu sur deux points précis :
  

     1) A propos des recherches historiques concernant le développement du culte de Saint Michel, recherches liées à la préparation des volumes pour la célébration du millénaire monastique du mont Saint-Michel, il a montré sur textes tout ce que l’on pouvait tirer de l’étude des bréviaires et livres liturgiques, en particulier des leçons, pour l’analyse du légendaire ou du mythique dans la vie sacrale ;
  

     2) Dans un autre ordre de réflexions concernant l’analyse historique des rencontres de civilisations, il a eu l’occasion à différentes reprises d’étudier la notion anthropologique d’acculturation et d’explorer à travers elle, son histoire, les usages actuels qui en sont faits, les possibilités d’une utilisation quant à l’historiographie contemporaine. L’essentiel de ses réflexions est repris dans le mémoire présenté au titre des Grands Thèmes au xiie Congrès International des Sciences Historiques.

   

A titre d’invité étranger, le Professeur Lacourcière, de l’Université Laval, a entretenu le séminaire, en la circonstance élargi de personnalités s’intéressant à ces problèmes, de ses recherches sur les proverbes canadiens. Exposé extrêmement dense, et qui eut mérité des approfondissements, en particulier quant aux origines françaises de ces proverbes, exemple peut-être frustre mais combien significatif d’acculturation.

   

Ont participé régulièrement aux travaux du séminaire : Mmes et Mlles Gouiran, Ailleret, Ferté, Groc, de Hédouville ; MM. Augier, Billacois, Bizeau, Cloulas, Daniel, Flandrin, Fontana, Froidevaux, Girault, Hermant, Julia, Labarre, Sauzet.

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