Alphonse Dupront |

Comptes-rendus de séminaires

Enseignement 1961-1962

Annuaire de l’EPHE VIe section, 1962-1963, pp. 139-142

Psychologie collective et histoire de la civilisation européenne

Directeur d’études : M. A. Dupront

     

Les travaux de la direction d’études se sont répartis pour l’année universitaire 1961-1962, sous trois chefs :

   

A. Dans une poursuite de ses recherches d’ «analyse de contenu », le directeur d’études à continué à traiter de l’idée d’Europe aux xviiie et xixe siècles.
  
De propos délibéré, il a choisi de conduire cette analyse au niveau des dictionnaires pour saisir dans ces instruments de circulation et, de fixation moyenne, les valeurs les plus communes des représentations d’Europe dans la société française du xviiie siècle.
Au niveau des dictionnaires, il est évident que l’article : Europe, apparaît et se développe avec le siècle. Quant à la lexicographie courante, la mise en circulation de l’article doit être recherchée dans les dictionnaires scolaires, et particulièrement jésuites. La montée d’Europe est donc d’école et savante.
  
Procédant des cosmographies de la fin du moyen âge, elle s’impose au long du xviie siècle, dans le monde lettré du moins, pour exprimer des réalités neuves en train de se découvrir : réalités que permettent de déceler les charges affectives des définitions d’Europe dans les dictionnaires, surtout jésuites, de la fin du siècle.
  
Pour dégager avec plus de sûreté les contenus de ces charges affectives, la recherche s’est orientée dans l’analyse de l’article : Européen. Suivie dans l’entre xviie et xviiie siècle, toujours sur dictionnaires, la notion d’européen découvre une double charge. L’une du passé correspondant d’une part aux traditions d’une histoire sainte, de l’autre, à une mythique historique imposée ou devenue consciente au moins dans deux rencontres face à l’Asie : les Croisades et la découverte postérieure de l’Extrême-Orient. L’autre, du présent, dans une estime sans appel des vertus et de la précellence européenne. Cette précellence, qui se glorifie de la religion et de la « police », s’analyse progressivement soit dans les éléments « primitifs » d’une conscience de vitalité commune : tels que le commerce, la navigation et la guerre, soit dans un patrimoine de sciences et d’arts.
  
Ce qui s’impose avec le plus d’exigence, c’est une conscience progressive des vertus d’être « européen ». Partie de l’opposition fondamentale de la guerre et de la paix, cette conscience cherche la pratique vécue d’une coexistence humaine et pacifique, qui correspondra bientôt à un besoin et à un niveau de civilisation.
  
D’autre part, dans les dictionnaires du xviiie siècle, l’article Europe se divise le plus souvent en trois rubriques :
Europe, figure de mythologie ; Europe, contrée particulière ; Europe, partie du monde.
Il a paru indispensable d’étudier de près traditions et cristallisations qui gardent, vivante en plein xviiie siècle, l’acceptation d’Europe, personnage mythologique. D’une analyse assez avant poussée, se dégagent les résultats suivants :

   

  1. Ce personnage dont la fable, de chair et de mythe, est femme, plus exactement fille faite femme par un acte sexuel, et plus ou moins orchestré en rapt, dont la scénographie cosmique est psychanalytiquement caractéristique ;

  2. Quelles que soient les variantes de l’affabulation mythologique, la scène de manifestation du personnage Europe se situe dans l’angle sud-oriental de la Méditerranée, entre la Phénicie et la Crête. Y a-t-il donc dans l’Europe un lien ténu, secret mais solide, entre l’Europe moderne et les terres de sources antéchétiennes ?

  3. Cette Europe mythologique ressuscite avec la naissance de l’Europe moderne, des œuvres pour une part de la cosmographie humaniste antiquisante mais surtout de l’érudition philologique, historique, exégétique, telle qu’elle se développe dans la controverse de religion au xvie et xviie siècles et s’épanouit particulièrement aux Pays-Bas, au xviie, érudition à dominante protestante ;

  4. A aucun moment, même pour des encyclopédistes, le lien n’est taillé entre l’Europe mythologique et l’Europe, partie du monde. Une luxuriance d’explications atteste au contraire d’un très large sentiment commun.

   

B. La recherche collective s’attache, comme l’année précédente, à un inventaire des lieux de pèlerinage dans l’Europe moderne entre la fin du moyen âge et le siècle présent.
  
Inventaire qui n’aura de valeur scientifique _ nous nous en rendons compte constamment dans l’étude de cartes trop hâtivement dressées _ que s’il est conduit avec une extrême rigueur. Aussi notre matériel se constitue-t-il lentement pour l’élaboration de trois sorte de cartes : l’une, d’ensemble, des pèlerinages dits de chrétienté ; la seconde inventoriant les pèlerinages à l’échelle des grandes nations européennes pour une manière de « géo-politique » du sacré ; la troisième enfin, diversifiée autant que la matière l’exigera, en cartes régionales.
  
Outre l’exigence de la méthode, caution sans doute de la valeur du travail, l’originalité de celui-ci voudrait être de faire apparaître à l’échelle européenne la vie historique des pèlerinages, c’est-à-dire les continuités ou les discontinuités d’une vie collective du sacré.
  
Des inventaires partiels, concernant des régions nettement limitées ont été présentées au court de l’année par M. l’abbé Bizeau, sur les pèlerinages thérapeutiques dans l’ancien diocèse de Chartres ; M. Y. Cloulas, sur les pèlerinages en Haute-Vienne et M. M. Venard, pour les pèlerinages du Comtat Venaissin.

   

C. Des exposés ont été faits au cours des séances de l’année, portant pour la plupart sur les travaux personnels des participants (recherches de Melle de Hédouville sur le mennaisianisme en Lorraine, et particulièrement sur la personnalité et l’influence de l’abbé Rohrbacher ; dépouillements de Mme lemay pour la recherche des sources de l’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples de J.N. Demeunier, paris, 1776, l’un des ancêtres de l’anthropologie française ; ou bien sur des analyses, suivies d’échanges de vues, d’ouvrages concernant les méthodes de la psychologie collective et particulièrement la sémantique historique débouchant sur la psycho-sociologie :M. J.-L. Flandrin a présenté de façon très attentive la thèse de M. Quémada, sur le « commerce amoureux » dans les romans mondains (1640-1700).

       

On participé régulièrement aux travaux de la direction d’études :

Mmes E. Lemay et M. Wisti ; Mlles A. Buffardi et M. de Hédouville ; M. l’abbé Bizeau, MM. Cloulas, Alleau, Flandrin, Sauzet.

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