Alphonse Dupront |

Comptes-rendus de séminaires

Enseignement 1973-1974

Annuaire de l’EPHE, VIe section, Année 1973-1974, pp. 143-146

Psychologie collective et histoire de la civilisation Européenne

Directeur d’études : M. Alphonse. Dupront

Compte rendu d’enseignement :

Le bilan des travaux du séminaire durant l’année universitaire 1973-1974 peut se présenter sous trois chefs, dans une convergence aussi naturelle que volontairement accentuée autour de ces manifestations éclairantes du « sacré » que demeurent pèlerinages et cultes des saints.

   

Deux ensembles d’approches et de résultats concernent, dans la continuité même du séminaire, les pèlerinages : approche par le langage ; approche par l’analyse de la vie de l’espace sacré dans le pèlerinage. Sans que l’une ou l’autre démarches aient pu être conduites à terme dans les limites de l’année, quelques traits fondamentaux peuvent être considérés désormais comme solidement établis.

   

Quant au vocabulaire du pèlerinage, l’étude a portée essentiellement sur les deux signes-clés, pèlerinage et pèlerin, soit l’acte et l’acteur, non seulement dans le vernaculaire français mais dans l’ensemble des grandes langues européennes. Analyse de contenu et recherches de sémantique historique pour chacune des langues concernées découvrent, quant à la conscience collective du phénomène, les aspects suivants :

   

  1. A quelques tâches près, dans toutes les langues européennes, la notion de pèlerinage traduit une expérience religieuse spécifique, marquée d’extraordinaire, et comme telle, conservant une valeur d’entièreté que les dilutions du langage n’arrivent pas à atteindre ;

  2. Même quand ils ne procèdent pas de la racine commune, peregrinatio, tel le wallfahrt germanique par exemple, tous les signes des langues européennes qui disent le pèlerinage comportent une double lecture, lecture physique, la désignation de l’acte même du pèlerinage, lecture psychique ou spirituelle, définition d’une ascèse dans la pratique de l’acte ;

  3. Dans la continuité même des sens latins, intériorisés par le latin médiéval, le pèlerinage est parcours d’espace et vie d’étrangéité. Quelques premiers sondages montrent dans les langues sémitiques d’analogues préhensions. Elles traduisent, au niveau du langage, certains des traits-force d’une conscience anthropologique du pèlerinage.

   

Afin d’étudier de la façon la plus concrète possible la vie de la route dans le pèlerinage, il a paru bon de partir de l’analyse rigoureuse d’un texte peut-être surestimé mais considéré comme l’un des grands classiques de l’iter pèlerin, le ve livre du Liber Sancti Jacobi, improprement appelé, selon nous, Guide du Pèlerin de Saint Jacques de Compostelle. Plus incitation au voyage en effet que guide, sorte d’écrit exaltatoire plus que témoignage constant et précis, le pseudo-Guide fournit cependant des indications précieuses quant aux routes certes, encore qu’il ne les dénombre pas toutes, mais surtout quant aux difficultés les plus habituellement transmises dans le collectif pèlerin et aux recharges énergétiques : quant à ces dernières autant et mieux parfois que les hôpitaux, le légendaire, curieusement divisé en légendaire carolingien au Sud des Pyrénées et en légendaire sanctoral autour de quelques grands sanctuaires d’étape sur les routes de France. L’analyse de ce légendaire peut permettre la reconstitution d’une dynamique mentale, nourricière de l’immense effort : un inventaire thématique en cours d’établissement en donnera les puissances animatrices, mots, images, exemples ou versets scriptutaires.

   

Dernier chef d’orientation des travaux, - l’étude quantitative des titulatures des lieux de cultes, conduite au niveau du contemporain, avec progressive remontée historique. Devant être étendue à l’ensemble de l’Europe Occidentale pour la mise en évidence des grandes circulations de cultes transeuropéens, l’entreprise débute, pour toutes sortes de raisons obvies, par la France. Quarante diocèses ont été déjà inventoriés, - première masse documentaire imposant le rayonnement des grands cultes de chrétienté, de fortes autochtonies régionales et, à l’échelle du singulier, des titres erratiques, révélateurs de créations sacrales dont l’analyse, malaisée, peut être libératrice de certaines attentes ou besoins collectifs quant à la vertu des sacralités. Autres évidences : la stabilité historique des titulatures, matériau d’élection pour l’étude de la « longue durée » ; la mise en relief de strates, au niveau de celles-ci, pour la propagation des cultes ; quantitativement, la très faible pénétration des cultes modernes, sauf en milieu d’urbanisation récente, et cet aveu du gallicanisme français, le nombre infime de cultes romains, modernes ou contemporains, ayant réussi à imposer titulature. Ces données de premier établissement, déjà importantes, engagent des approfondissements historiques, dont certains sondages sur des diocèses déterminés ont démontré la richesse, quant à la fidélité du collectif à certains titres, même un temps oubliés, quant aux forces sociales et culturelles imposant le rayonnement d’un titre, quant aux rapports historiques entre patron titulaire et patron secondaire aussi, ces rapports découvrant dans bien des cas les tensions plus ou moins conflictuelles entre deux cultures, culture d’Eglise et de clerc et culture populaire, exigeante en particulier des protections thérapiques.

Exposés d’élèves et travaux pratiques :

M. Venard : Etude des itinéraires de procession dans la ville d’Avignon aux xviie et xviiie siècles.

Mme Vilar : Rites de « romerias » équestres en Andalousie, d’après les études de Julio Caro Baroja.

M. et Mme Lerou : Recherches sur l’iconographie de la statuaire de Saint Fiacre.

Abbé Desplaces : Pèlerinages et dévotions populaires en Bas-Berry. Leur évolution depuis le début du xxe siècle.

M. Frijhoff : La panique de juin 1734 et les prophéties populaires aux Provinces Unies.

Mme Froeshlé : Iconographie des autels des églises du diocèse de Vence au xviie et xviiie siècles.

M. Hillau : L’image contemporaine du conflit entre Galilée et l’Eglise.

Mme Martin : La conversion protestante à Lyon du milieu du xviie siècle à la Révocation de l’Edit de Nantes : la Compagnie de la Propagation de la Foi.

M. Roudil : Les loups et la rage dans la vie collective de la société française au xviiie siècle.

Sœur Sanson, o.p. : Mère Saint-Jean (1876-1969) : premiers cheminements de la fondatrice des Dominicaines des campagnes.

Mme Roche : Cultes révolutionnaires aux confins de l’Anjou (1793-1973).

Exposés de conférenciers extérieurs :

M. Bernard Edeine : « Recherches sur l’ethnologie religieuse de la Sologne pré-machiniste ».

Activité scientifique du Directeur d’études :

a) Enquêtes en cours :

Enquête sur les pèlerinages et cultes populaires en Europe Occidentale (e.p.h.e) – Ethno-histoire et Anthropologie religieuse Européennes (r.c.p. n°328). – Titulatures des lieux de culte en Europe Occidentales : Inventaire et profils de circulation (era n°444).

b) Congrès, conférences, missions scientifiques:

Roc Amadour : Réunions de coordination des recherches sur les Sacralités du Quercy. – Strasbourg : Réunion interdisciplinaire (Histoire, Ethnologie, Géographie, Dialectologie…) sur les Sacralités de l’Alsace et en particulier les cultes de franchissement du Rhin.

c) Publications :

« Les Sacralités de Rocamadour » in Actes du premier Colloque de Rocamadour (Luzech, 1973), pp. 183-207. – « Histoire et Anthropologie religieuse », in Faire de l’Histoire, t. ii (Paris, Galimard, 1974), pp. 105-136.

   

En préparation : Pèlerinages et pèlerins. Pour une anthropologie du pèlerinage (à paraître chez Calmann-Lévy).

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